Attention une crise peut en cacher une autre !
Avec la crise sanitaire que nous traversons, bon nombre de sujets de préoccupations sont apparus comme par exemple : quels modèles économiques repenser pour maintenir son activité ? Quelle organisation de travail mettre en œuvre dans un contexte de confinement ? Et si la réponse à ces questions reposait sur la capacité des entreprises et des individus à repenser leurs façons de travailler de manière globale.
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Le 16 Décembre 2019, le premier cas de malade de la COVID 19 est identifié en Chine. A ce moment, personne n’anticipe la crise sanitaire à venir. Pourtant, 4 mois plus tard, le virus s’est répandu partout dans le monde et force les gouvernements à prendre des mesures inédites. En France, le 12 mars 2020 les écoles ferment et le 17 Mars le pays est confiné. Le monde économique est plongé dans une crise sans précédent, obligeant les organisations de toutes tailles à trouver des solutions pour continuer à exister. Mise en œuvre du télétravail massif et à marche forcée ; réinvention des modèles économiques pour maintenir son activité malgré les contraintes. L’avenir montrera que certains s’en sortiront mieux que d’autres. Et s’il ne suffisait pas d’une crise, l’histoire semble se répéter alors que le pays est à nouveau confiné et que le gouvernement souhaite la mise en œuvre du travail sur 5 jours complets (ce que la loi ne permet pas aujourd’hui).
Toujours, à presque un an du départ de la crise, il est possible de prendre du recul et révéler ce que cette crise nous aura appris ou tout le moins, aura soulevé comme sujets à adresser. En d’autres termes : quelles conséquences pour les organisations ? Quelles conséquences dans le management des activités ? Quelles conséquences pour les individus qui œuvrent dans le monde économique ?
Conséquences pour les organisations : sont-elles structurellement prêtes à accueillir ces bouleversements ?
On peut facilement imaginer la fébrilité qui s’est répandue à tous les étages des organisations. La crise sanitaire, bien plus que de rebattre les cartes du jeu, aura poussé tous les acteurs à remettre en cause ce qui était connu et admis jusqu’alors. Les changements (économiques, structurels, imposés par les comportements des consommateurs ou les cadres légaux) étaient adressés avec une stratégie qui, jusqu’à il y a quelques années, avait fait ses preuves. Intégrations des conséquences des changements, définition d’une nouvelle stratégie, plan de transformation assorti d’un accompagnement au changement, communication et réorganisation de l’ensemble.
Cette façon d’opérer face aux changements, s’adaptait à une rythmie des changements qui étaient peu fréquents, ou qui intervenaient sur des cycles de 3 à 5 ans. Ainsi, il était aisé de prévoir les transformations à engager et de prévoir les résultats escomptés. Cela permettait aux organisations de se remettre dans la course et de ne pas prendre de retard conséquent sur la concurrence. Mieux encore, ces grands plans de transformation par leur forme prédictive, venait rassurer les décideurs ou les actionnaires.
Or, depuis les années 90 – 2000, l’accélération des évolutions technologiques, les évolutions rapides des besoins et attentes des consommateurs (clients), le développement de la concurrence ainsi que l’arrivée de nouveaux acteurs s’appuyant sur la puissance du développement des usages d’internet, ont montré la limite de ce modèle basé sur les grands plans à plusieurs années. En effet, avant même que le grand plan de transformation ne soit achevé et abouti, il devient obsolète et inadapté.
Pour autant, et ce sans doute lié à leur grossissement (mais pas uniquement), les organisations ont persévéré dans l’utilisation de ce modèle de transformation. Elles se sont obstinées à essayer de trouver l’organisation qui serait la mieux adaptée, qui, pour engager sa transformation digitale, qui, pour être au plus près des préoccupations de ses clients. On emploie dès lors les grands mots : il faut être plus agile !
Quelle solution pour les organisations en ces temps de crise ?
Mais la réalité est toute autre et la façon dont les entreprises réagissent aujourd’hui dans cette période de crise met encore plus en lumière les limites de ce modèle. Par conséquent, la réponse à cette question de l’adaptation des organisations à l’accueil des bouleversements est sans appel : non. Les organisations ne sont pas prêtes à accueillir ces changements à haute fréquence.
La raison en est simple : lorsque des changements sont nombreux et fréquents, il ne s’agit plus de créer ou modifier l’organisation du travail et ses processus, pour qu’ils soient adaptés au changement. Par exemple, est-ce utile de trouver une organisation qui réponde aux contraintes imposées par la crise sanitaire ? Cela n’imposera-t-il pas de remodifier cette organisation une fois la crise passée ? Et si cette crise sanitaire se prolonge et qu’un autre changement intervient (économique, politique ou autre…), être organisés pour répondre aux protocoles sanitaires nous permettra-t-il de répondre de façon adaptée ?
La solution pour les entreprises : trouver et mettre en place une organisation qui soit en mesure d’accueillir les changements quels qu’ils soient, d’adresser les sujets, les problématiques portées par ces changements, d’apprendre et de s’améliorer en continu sans avoir à tout transformer à chaque fois. C’est ce qui résulte du principe d’Organisation Agile. Une organisation qui est capable de percevoir les signaux faibles/forts et d’analyser ; de construire et partager une vision stratégique claire ; de résoudre les problèmes, d’apprendre et de s’améliorer continuellement ; de créer l’écosystème favorable à l’autonomie, la responsabilisation des équipes.
Conséquences pour les managers : comment trouver sa place et sa posture lorsque le contact physique est rompu avec les équipes et que la pression et les enjeux de résultats deviennent de plus en plus forts ?
Si cette crise a permis quelque chose pour les managers, c’est sans doute la mise en lumière d’une problématique qui se révèle doucement depuis quelques années et qui ne cesse de grossir : quel management mettre en place pour réussir à piloter ses activités dans ce contexte de changements quasi permanent ? Quelle posture managériale adopter face à des collaborateurs de plus en plus autonomes et exigeants ? Quelle est la place de manager dans ce nouveau paradigme ?
De tout temps le manager aura eu à développer une capacité essentielle à sa fonction : savoir s’adapter, s’ajuster. Et ce lorsqu’il s’agit des personnes, des individualités. Lorsqu’il s’agit des changements brusques de cap, de stratégie. Lorsqu’il s’agit des changements d’organisations ou des transformations d’entreprise. Il a été demandé aux managers depuis plusieurs années, et avec force de formation, d’adopter une nouvelle posture : celle de manager coach. Et aussi, depuis peu, on parle de plus en plus de manager Agile ou de manager 3.0. En parallèle le modèle des startups est venu bousculer un certain nombre de croyances sur le fonctionnement de l’entreprise, laissant croire à des lendemains qui chantent, dans lesquels les individus sont au cœur des préoccupations, où la structure hiérarchique pyramidale s’aplanit pour une relation plus directe et des décisions plus rapides. Des lendemains dans lesquels le collaborateur s’épanouit autour d’un babyfoot et d’ateliers de Yoga, ou encore dans une salle de repos pour faire la sieste. Une sorte d’état d’esprit startup s’est répandu dans les entreprises, et les managers au milieu de l’échiquier de chercher désespérément leur place. Jusqu’alors on lui demandait de fixer des objectifs, de contrôler les activités et d’évaluer la performance de ses collaborateurs : commander et contrôler.
Subitement, on a demandé aux managers de prendre un autre rôle, d’être à l’écoute, d’accompagner et de responsabiliser les équipes. Belle mission que celle-ci, mais qui s’est confrontée rapidement à nombre d’injonctions paradoxales. Et le confinement aura accentué voir exacerbé encore plus ces paradoxes. Car en temps de crise, les vieux réflexes de défense réapparaissent aussitôt qu’aura été prononcé le discours des lendemains qui chantent. On a vu par exemple des Startups qui jusque là vantaient la rupture avec l’ancien Monde, revenir sur leurs beaux principes et revenir au bon vieux modèle du « commander et contrôler ». Finis les lendemains qui chantent, car sous la pression de la crise et de ses conséquences économiques, la fin de la récréation a été sonnée (on peut lire l’article du Parisien du 08 Septembre 2020 « Un paradis perdu à jamais » : changement d’ambiance dans les start-up).
Le télétravail : l’arbre qui cache la forêt !
Avec la mise en œuvre du télétravail et ce malgré les nombreux outils numériques à disposition, les managers se retrouvent à devoir réinventer la relation à leurs équipes, la façon d’appréhender le collectif et l’individuel. Encore une fois sur ce sujet, les entreprises auront eu tendance à adresser le sujet dans le mauvais sens. Les débats nombreux autour de la question de la validité du télétravail, montrent combien un grand nombre d’organisations auront été surprises et n’avaient pas anticipé. Pourtant, la question du télétravail est présente depuis de nombreuses années maintenant. Et les entreprises réfractaires à sa mise en place, nourries par des croyances ou des aprioris, se retrouvent aujourd’hui à devoir le mettre en place voir le vendre comme l’organisation de demain. Et on se trompe encore de problème.
Car le télétravail n’est qu’un outillage, un moyen de travailler. Ce n’est pas une nouvelle organisation autour du télétravail qui va permettre de continuer à exercer son activité. Ce qui se joue est la façon dont l’entreprise fonctionnait avant le confinement, avant le télétravail massif ? Quelle est la façon dont les équipes collaboraient avant ? La façon dont la fameuse transversalité, la fin des silos, se concrétisaient avant le confinement ? La façon dont on a pensé la culture managériale et la façon dont on a positionné les managers dans le système ? Vous pouvez disposer des plus beaux outils de production qui soient, les plus innovants, les plus technologiquement avancés, mais si l’écosystème dans lequel ils s’y trouvent n’est pas favorable, vous n’atteindrez pas plus de résultats. Par exemple, un chef cuisinier et sa brigade peuvent travailler dans la cuisine la mieux équipées, mais s’il ne n’a pas la bonne organisation et la bonne façon de gérer sa brigade, il y a tout lieu de penser que l’équipe se retrouvera en difficulté quand arrivera un grand coup de feu pendant un service.
Il s’agit dès lors pour les entreprises, et ce quel que soit leur taille, de profiter de cette situation de crise pour adresser tous ces sujets et de construire avec leurs équipes les solutions à tester pour réussir à maintenir leur activité. Il s’agit de trouver l’écosystème le plus favorable pour délivrer le plus de valeur, de coopérer de façon efficiente (à distance ou pas) et de développer les capacités des individus à apprendre en continu et à s’améliorer. Il s’agit d’accompagner les managers dans un rôle à forte valeur ajoutée qui est celui d’agent facilitateur à l’exercice de l’activité dans un soucis de qualité et de résultats. (consulter notre programme de formation qui traite de ces questions :Nouveau Management)
Conséquences pour les individus : alors que chacun appelait de ses vœux la possibilité d’être plus responsable de son activité, plus autonome et d’être entendu dans son organisation, comment faire maintenant que je suis seul chez moi pour exercer mon métier ?
Il y a quelques jours maintenant, pour l’anniversaire de ma fille, j’ai décidé de procéder différemment pour lui faire son cadeau. Plutôt que de me retrouver à essayer de trouver ce qui pourrait lui faire plaisir, je me suis dit qu’il serait plus amusant pour elle et pour moi, de nous rendre tous les deux dans un magasin et, avec des règles du jeu fixée à l’avance, de lui laisser la possibilité de choisir ce qui lui ferait plaisir. Si sur le papier cela pouvait être la promesse d’un moment agréable pour elle, être dans un magasin à pouvoir choisir le cadeau qui lui ferait le plus plaisir, elle s’est retrouvée complètement désemparée. Elle se déplaçait dans les rayons à trouver à chaque fois de nouvelles possibilités sans être en mesure de pouvoir faire un choix. Nous y sommes parvenus évidemment, mais j’ai été marqué par l’observation de son attitude. À la fois contente et très excitée à cette idée et en même temps ne sachant pas du tout par quel bout prendre les choses.
Voilà sans doute à quoi doivent ressembler les sentiments mitigés des collaborateurs qui se retrouvent en télétravail. En effet, enfin le temps est venu de l’autonomie, de l’auto-organisation, cette possibilité fabuleuse de pouvoir gérer son temps et ses activités en étant dans son contexte, libérés des temps de trajets interminables et aléatoires pour se rendre au travail. Pour autant, nombreux sont les témoignages qui viennent noircir le tableau idyllique. Le télétravailleur s’est retrouvé confronté à des sujets de préoccupations inédits : sentiment de solitude et d’éloignement, difficultés à trouver le bon tempo, difficultés à ne pas se laisser distraire par son chez-soi, sentiment de pression et de stress plus important etc… il n’est pas une journée sans un article, une vidéo sur les réseaux ou à la télévision qui ne viennent soit présenter les vertus soit les difficultés liées au télétravail.
Alors que depuis une quinzaine d’années, de nombreuses études (on peut lire par exemple les résultats des études de l’institut Gallup à ce sujet rapports de l’instituts Gallup) montraient la nécessité de revoir nos façons de travailler ainsi que la façon dont les entreprises devaient construire la relation avec leurs équipes, nous nous retrouvons aujourd’hui, dans l’urgence, à chercher des réponses à ces problématiques. Et encore une fois, nous n’avons pas cherché à les anticiper au bon moment, préférant laisser le législateur et les partenaires sociaux trouver des accords pour cadrer tout cela.
Mais ce que révèle cette effervescence autour du télétravail tient plus, encore une fois de la façon dont les entreprises et les individus qui les composent, pensent le travail et son organisation indépendamment des moyens et des outils. En effet un des sujets à adresser est sans doute le suivant : comment, après des décennies d’un management qui a toujours décidé du quoi et du comment, sans laisser trop la place à l’initiative et à la responsabilisation, comment donc peut-on imaginer que du jour au lendemain, des individus qui étaient contraints et limités dans leur champ d’action, se transforment en individus autonomes, responsables et en auto-gestion ?
Car cette volonté affirmée des deux côtés (l’entreprise voulant développer l’esprit intrapreneurial, l’innovation, l’autonomie et les collaborateurs voulant développer le sentiment que leur travail, leurs actions sont utiles et sont porteurs de valeur) ne pourra se matérialiser sans une réflexion de fond portant sur l’ADN de l’organisation. Car pour répondre à ces nouvelles exigences, l’entreprise doit créer un écosystème favorable. Un écosystème dans lequel les individus développent des capacités nouvelles. La capacité de s’organiser et de piloter son activité. La capacité d’apprendre, d’apprendre à apprendre et de prendre du recul sur ce que l’on fait et de sa qualité. La capacité à se projeter. La capacité à adresser un sujet, trouver des options de réponses possibles. La capacité à tester à mesurer. La capacité à négocier de façon constructive. La capacité enfin à donner ou à recevoir des feedbacks qui maintiennent la bonne attention à ce que l’on fait et sa motivation. Si toutes ces capacités n’étaient pas en voie de développement dans l’organisation il est difficile d’imaginer que les individus puissent les mettre en œuvre spontanément.
En conclusion : profiter de cette période pour marquer un temps d’arrêt et trouver les bonnes options
Lorsqu’il se passe quelque chose de grave, la panique et l’effervescence ne représentent sans doute pas la meilleure réponse à ce qu’il se passe. Pour répondre à une crise, à un évènement, il faut s’y préparer et anticiper. Les pompiers, les groupes d’interventions me surprennent toujours par la façon, dans une situation de crise, dont ils sont en mesure d’agir avec célérité et efficacité dans un calme et une maîtrise totale. Et cette capacité est acquise par les individus grâce à la préparation et à l’anticipation. On ne peut pas prévoir comment un feu de forêt va évoluer. En revanche on peut se préparer à réagir à différents scénarios en s’appuyant sur ses expériences passées, ce que l’on a réussi et ce que l’on aurait pu faire différemment.
À l’image de cet exemple, la voie de sortie pour les organisations, les managers, les individus repose sans doute sur le fait de profiter de cette période pour marquer un temps d’arrêt et d’adresser des sujets qui permettront d’accueillir les prochains changements (ou prochaines crises). Il s’agit, quel que soit sa taille, de trouver son écosystème qui permette : d’entendre et d’analyser les signaux faibles, de développer la capacité de chacun d’apprendre, de s’améliorer, de développer la capacité de chacun à agir de façon responsable et autonome, de développer la volonté commune de centrer son activité sur la qualité de ce qui est fait et comment cela est fait. En résumé, de disposer d’une organisation qui ait la capacité d’analyser, de réfléchir aux options possibles et de mettre en œuvre des solutions avec sérénité et efficience. Grâce à cela, un confinement, le télétravail imposé ou tout autre évènement, changement, ne seront plus perçu comme les points centraux autour desquels se structurent le reste. Les organisations et les individus trouveront plus facilement les options possibles à mettre en œuvre. Cela contribuera sans doute à redonner un sentiment de stabilité et de solidité, perdu après ces années rythmées par des changements de cap permanent. Pour traverser la tempête, il faut pouvoir être sûr de son bateau et de son équipage.